Solidité des structures

Qualité des personnes

En 2020, notre système de santé a été  mis à rude épreuve.
Christian Moeckli, à la tête de la Fondation de Nant – il prendra la direction de l’Hôpital Riviera-Chablais en 2021 – nous dit comment l’institution psychiatrique a réagi et l’importance des relations interpersonnelles.

Comment votre Fondation a-t-elle traversé cette crise? A-t-elle fortement sollicité les professionnels de la santé mentale?

Pendant la première phase, beaucoup de choses ont dû être rediscutées et redéfinies dans notre institution. Un exemple: des infirmiers-ères œuvrant en ambulatoire ont été réaffectés à des unités touchées par le Covid et dans les centres thérapeutiques de jour, on a dû réduire les groupes de patients, souvent âgés; afin d’assurer le lien, nous avons formé des équipes mobiles pour se rendre chez les personnes qui en avaient le plus besoin.

Cela dit, en psychiatrie en général et à la Fondation de Nant, la première vague ne nous a pas impactés dans la même mesure que dans les soins somatiques. Notre patientèle a vécu le même repli que l’ensemble de la société, ce qui a eu pour effet de mettre entre parenthèses certaines expressions aiguës de la souffrance psychique. Cependant, le personnel ambulatoire est resté sur le pont car, dans notre spécialité, une situation d’apparence «non urgente» peut le devenir rapidement si elle n’est pas prise en soins; ce n’est pas aussi net que dans un service de chirurgie où l’on peut renoncer provisoirement aux interventions électives.

La deuxième vague nous a beaucoup plus touchés en termes d’infections et de quarantaine des collègues. Les équipes étaient fatiguées et éprouvées et, à l’heure où nous en parlons, le sont encore. Pour nos patients et la population en général, la santé mentale souffre grandement de la continuité de la crise.

Un confinement plus ou moins étroit semble aggraver bien des situations dans le registre psychosocial. Peut-on le confirmer?

C’est clairement le cas pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Chez eux, les restrictions sociales et culturelles ont un impact considérable à long terme. Des fonctions-clés du développement personnel sont freinées: se confronter à d’autres, tester ses limites, se construire en dehors du cadre familial, expérimenter une sociabilité de groupe. En outre, les enfants ressentent l’anxiété de leur entourage devant les conséquences concrètes de la crise. Plus généralement, pour une partie de la population économiquement et socialement précarisée, nous devons nous attendre à un effet durable de la crise sanitaire sur la santé mentale. 

En tant que directeur de la Fondation de Nant, comment évaluez-vous la réponse à la crise donnée par les institutions de santé?

Nous avons la chance de bénéficier d’un système socio-sanitaire dont l’articulation et les outils sont efficaces, même si on peut parfois lui trouver une trop grande complexité. Mais par définition, toute crise empêche un système de fonctionner normalement. Soit tout se bloque, soit se déclenche un mouvement d’adaptation inventive rompant avec les habitudes acquises. Et là c’est d’abord l’humain qui fait la différence: l’ouverture aux autres, la bienveillance et surtout la confiance, fondamentale pour donner de bonnes réponses. Selon l’auteur américain C. Feltmann, cette confiance est fondée sur quatre piliers: la sincérité, la fiabilité, la compétence et le souci des autres. Il faut saluer le fait que l’immense majorité des acteurs, sur le terrain comme dans la gouvernance, ait réagi selon ces valeurs.

J’ajoute que la collaboration entre les institutions dépend beaucoup de la qualité des relations interpersonnelles. Dans l’Est vaudois, les partenaires du réseau de santé se connaissent bien. Depuis deux ans par exemple, l’Hôpital Riviera-Chablais, Nant, ASANTE SANA et le Réseau Santé Haut-Léman travaillent dans une dynamique commune pour construire une réponse à l’urgence conforme aux directives des pouvoirs publics. Si j’appelle un homologue dans une autre institution, je sais qui il est, je connais son engagement, je ne doute pas qu’il comprendra les problèmes de mon organisation et les enjeux pour tout le système. 

Je dirai donc en conclusion qu’on surmonte une crise autant par l’engagement, les qualités humaines et les capacités de collaboration des personnes que par la solidité des structures.